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Michael Cimino : Du génie adulé au génie oublié. [2ème Partie]


La filmographie de Michael Cimino se construit en deux parties bien distinctes, la première entre 1974 et 1980 et la suivante entre 1985 et 1996. Après avoir vu comment le réalisateur est arrivé au firmament de la gloire avant d'en tomber aussi rapidement que le fût son ascension, voyons maintenant la suite d'une carrière bien moins touchée par la grâce.

Year of the Dragon, 1985


Le film du retour aux affaires


Avec ce polar hard-boiled, Michael Cimino livre un véritable incontournable du genre. Ses récits à hauteur d’homme, ses narrations découpées en actes, sa violence froide et sa caméra virtuose sont aux rendez-vous. Co-écrit avec l’aide d’un certain Oliver Stone, le scénario fait preuve d’une certaine roublardise. Œuvre ambiguë s’il en est, elle fut longtemps taxée de raciste à cause de son traitement fait de l’immigration chinoise. Mais il est presque ridicule de se fixer sur ce point, car c’est bien plus profond qu’une simple représentation de façade. Year of the Dragon c’est avant tout une réflexion sur l’altérité et sur l’ennemi de l’intérieur. Le personnage principal (énorme Mickey Rourke) est lui-même issu de l’immigration, polonaise comme il aime à le répéter régulièrement et il est fondamentalement raciste. Surtout envers les asiatiques, du fait de son expérience lors de la guerre du Vietnam. Et c’est sur cet aspect que le récit se focalise, sur ce flic détesté et détestable. Mauvais collègue, mauvais mari, mauvais amant, il n’a rien pour lui sauf une certaine conception de la justice pour laquelle il est prêt à tout sacrifier (littéralement) et qui fait de lui le policier le plus décoré de la ville.


Mickey Rourke impeccable en flic bad ass dans Year of the Dragon

Michael Cimino continue ici son analyse d’une Amérique multiple et brisée, qui se cache derrière le communautarisme, les flics et les Chinois (dans Heaven’s Gate c’était les nativistes et les immigrés…). Year of the Dragon vient clore naturellement une sorte de trilogie virtuelle entamée avec The Deer Hunter sept ans plus tôt. Des thèmes comme la place de l’Américain au sein du pays, ceux issus de l’immigration et les nativistes ou encore les traumatismes liés aux conflits, le Vietnam dans The Deer Hunter et Year of the Dragon et celle de Sécession pour Heaven’s Gate.


D’une virtuosité épatante, dans le fond comme dans la forme, Year of the Dragon est aujourd’hui considéré comme le troisième chef d’œuvre de Michael Cimino. Le moins que l’on puisse dire est que sa réputation n’est pas usurpée. Malheureusement, il s’agit également de son dernier grand film, qui vient clore dix ans de carrière en forme de grand huit. Car la suite est moins glorieuse, jalonnée de films relativement mineurs et même d’un navet comme...


The Sicillian, 1987


Le film qu’il n’aurait jamais dû réaliser


S’il est bien une œuvre à éviter dans la filmographie de Michael Cimino, c’est The Sicillian. Adaptation d’un roman de Mario Puzo, également auteur de The Godfather, duquel il est d’ailleurs une suite, ce film n’arrive jamais à convaincre. La faute à un scénario maigrelet, des acteurs insipides et une mise en scène d’une platitude à faire rougir un Brett Rattner profitant des légumes à volonté au Flunch. C’est bien simple, rien ne va dans cette réalisation. Si Christophe Lambert a l’air absolument convaincu de ce qu’il fait, le spectateur lui n’y croit pas une seconde. Il n’y a aucun souffle épique, pas d’enjeux clairs, tout se mélange et se perd dans une lenteur impossible qui engendre une lassitude pesante. Si le film dure 2h30, il donne l’impression d’en durer le double.


On est ici face à ce qui est sans doute le seul véritable échec de la carrière de Cimino. Les fantômes de Heaven’s Gate se font ressentir à chaque plan. Il n’y a aucune prise de risque, ça manque d’ampleur, c’est maladroit, c’est bâclé, c’est nul, disons le ! Une véritable frustration. Heureusement, après cette débâcle (qui est un échec critique comme public) Cimino décide de se concentrer sur des œuvres à l’envergure plus réduite, la magie semble perdue. Même si...


Desperate Hours, 1990


C’est le film de la survie


Adapté d’un roman et de la pièce de théâtre de Joseph Hayes, déjà adapté en 1955 par William Wyler, Desperate Hours est une œuvre mineure mais efficace. L’un des grands intérêts de cette réalisation est sa comparaison obligée avec la version de Wyler, qui permet de prendre en note les changements de mœurs entre l’Amérique de 1955 et celle de 1990. Michael Cimino gratte ici minutieusement le vernis de l’Amérique parfaite, ça sent la fin du rêve reaganien des 80’s, celle du capitalisme triomphant. Une Amérique où les honnêtes citoyens sont en crise quand les criminels roulent dans des bolides rutilants, s’habillent en Armani et s’acoquinent avec des top modèles. Le mythe du American Way of Life en prend un coup et c’est la chronique d’une Amérique en pleine perdition qui se dessine devant le spectateur. Desperate Hours est un Home Invasion Movie, qui oppose un criminel psychotique Mickey Rourke (qui dans les années 80 avait fait de la classe une constante!) à Anthony Hopkins en père de famille en plein divorce et en rupture avec sa fille, dans un jeu psychologique d’une tension extrême.



Mickey Rourke et Anthoy Hopkins dans un duel psychologique implacable

Si le facteur humain a toujours été une priorité dans les films de Cimino, ici il se décline dans une sorte d’absurdité. Le bad guy est bestiale, sa compagne est sexualisé au maximum, l’un de ses compagnons de route est totalement dénué de conscience. Cela est contrebalancé par le frère du méchant qui est lui plutôt mesuré et par le père de famille prit en otage, qui trouve ici l’opportunité de retrouver ce qu’il avait perdu, etc... Michael Cimino livre une nouvelle fois la vision pessimiste d’une Amérique en proie de cette peur de l’ennemi de l’intérieur. Si en tant que film l’œuvre est relativement oubliable, dans le contexte de sa filmographie il prend une tout autre envergure et apparaît comme un incontournable. A l’image d’ailleurs de sa dernière réalisation...



The Sunchaser, 1996


Le film qui clôt le dernier chapitre


Avec ce Road Movie aux faux airs de Buddy Movie, des appellations qui ne sont pas sans rappeler Thunderbolt and Lightfoot vingt-deux ans plus tôt, la boucle est bouclée. Nouveau drame à échelle humaine, un riche médecin déconnecté de la réalité est prit en otage par son patient, un jeune prisonnier souffrant d’un cancer incurable. Tout oppose les deux personnages qui apprennent à se connaître au long d’un récit où les tensions se dépolarisent peu à peu et où les enjeux évoluent. L’ennemi, clairement identifié au début, n’est finalement pas celui que l’ont croit. Les deux personnages changent au contact l’un de l’autre, au delà des a priori de chacun. Intelligemment écrite, cette aventure sur les routes arides de l’Amérique de l’Ouest évoque la recherche inespérée de l’espoir, de la rédemption et du pardon. Des thématiques loin d’êtres étrangères au cinéma de Cimino qui les utilise ici sous forme d’une sorte de best-of de tous ses travaux antérieurs.



Jon Seda et Woody Harrelson perdu dans les grands espaces américains

Même si The Sunchaser est considéré comme une œuvre mineure, il tient la comparaison avec Thunderbolt and Lightfoot . Là où ce dernier annonçait sa filmographie à venir, The Sunchaser y pose le sceaux final. Tout a été fait, tout a été dit. C’est le chant du cygne de la carrière d’un réalisateur qui fut tout à tour virtuose, surprenant, banale, cynique, critique et qui dans une certaine mesure l’est resté tout au long d’une carrière éclectique et importante.


Un pied dans la légende


Pour comprendre l’homme, mais aussi pour comprendre le mode de fonctionnement du cinéma Hollywoodien sur deux décennies, marquées par de nombreuses évolutions indissociables de sa carrière, il est important de faire un arrêt sur toutes ses œuvres (oui, même The Sicillian...). Si à 77 ans un retour aux affaires semble aujourd’hui improbable, il ne faut pas hésiter et continuer de profiter des œuvres qu’a apporté cet artiste iconoclaste, presque bigger than life, au septième art. En vingt ans, Michael Cimino a livré une œuvre somme, dont le tour complet n’a pas encore été accomplis et qui a encore sans doute beaucoup de chose à nous apporter. Des cinéastes comme lui sont rares et précieux, et rares sont ceux qui entrent dans la légende de leur vivant. Pour lui, il semble que cela soit fait depuis bientôt quarante ans. Au moins.



Si vous souhaitez en apprendre plus, je vous invite à vous tourner vers ce très bon interview de Michael CImino, mais il est sans doute mieux d'avoir vu ses films avant..

 


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